Porto et ses iles
Toutes les villes possèdent plusieurs visages, ou plusieurs dimensions, qui constituent autant de couches ou de strates qu’on ne peut percevoir d’un coup, qui ne se livrent pas en une fois, mais qu’il faut découvrir progressivement, avec le temps, à force de rencontres et d’explorations. Il y a la ville apparente, celle qui se montre immédiatement au visiteur, celle qui présente un visage de surface. Ce premier niveau de la connaissance urbaine répond souvent à des « types » qui peuvent plaire ou déplaire, être séduisants ou banals, témoigner de l’opulence bourgeoise ou de la puissance de l’industrie, hériter d’une vieille noblesse ou surgir de la modernité, mais qui cherchent généralement à donner ce que la convention sociale imagine être une « bonne impression », à se conformer à certaines normes, à paraître lisses, rassurants et si possible touristiquement attractifs. Et puis il y a ce qui se dévoile peu à peu, ce qui se cache au détour des rues, ce qui s’oublie dans les périphéries, ce qui porte avec soi une histoire différente, particulière, moins valorisante et moins vendable, ce qui témoigne d’une histoire plus dure, plus obscure, marquée par les affrontements, la souffrance, le travail, les ambitions, les démesures, les médiocrités et les héroïsmes silencieux des générations successives.
Ce n’est d’ailleurs pas aussi simple, aussi unilatéral, d’abord parce qu’il n’y a pas simplement ce qui se voit et ce qui se cache et doit se découvrir, mais plutôt une articulation de plans, un tressage de constructions et de récits, ce qui résulte d’une multiplicité d’événements qui se sont succédés dans le temps mais qui viennent se côtoyer et se confondre dans l’espace urbain. Il y a là une complexité à décrypter, une richesse à explorer, une inépuisable diversité à reconnaître. Il y a des contradictions, des choix, des intérêts, des luttes, des inventions, des destinées à identifier et à comprendre, des étrangetés à décrypter, des aberrations à révéler. L’une des particularités des villes, c’est que ces couches, ces strates, ces pages ne se tournent pas au fur et à mesure qu’elles se lisent, mais qu’elles restent en place de sorte qu’on doit les traverser mais qu’on les retrouve identiques quand on revient sur ses pas. La ville apparente est alors toujours là, avec ses ombres intérieures, ses destinées clandestines, ses complexités muettes, mais aussi avec son apparence de conformité innocente.
Et puis il y a des villes qui portent cette complexité dans leur organisation comme une tension qui les anime en quelque sorte structurellement. Comme si plusieurs villes coexistaient côte à côte, ou plus exactement l’une dans l’autre, mais suffisamment distinctes pour se constituer chacune dans leur propre unité, comme deux corps noués et indissociables ou deux organismes interpénétrés et solidaires. Il suffit de passer le coin d’une rue, de franchir l’ouverture d’une cour, de s’engager dans un escalier. On était dans une avenue, sur un boulevard, on progressait sur un axe clairement marqué, et on se retrouve dans un noeud de ruelles, un réseau de voies tortueuses qui répondent à une toute autre logique, qui relèvent d’une organisation différente de l’espace, qui font surgir d’autres façons d’habiter. Ou bien on s’engage dans une entrée, on passe une barre d’immeubles et on se retrouve dans des jardins animés par une vie de voisinage où des enfants s’ébattent, des activités se partagent et une sorte de campagne urbaine se dissimule. Peut-être alors que si on s’élevait au dessus des toits pour filmer la ville par dessus, on verrait une seconde ville, fragmentée, vivre dans les carrés des constructions. Gène est l’une de ces villes qui se métamorphose au tournant d’une rue. Certains quartiers de Barcelone cachent de micro sociétés derrières les murs des bâtiments et dans la trame de la grille régulière des boulevards. Ce sont des villes faites de plusieurs villes qui se contiennent les unes les autres, ou qui changent de visages selon la façon dont on les regarde, selon les endroits qu’on habite et évidemment, les milieux sociaux auxquels on appartient. Davantage encore que les autres, elles invitent à la marche, à la dérive, à l’errance, à l’enquête.
La ville de Porto est traversée par des axes qui constituent les voies principales de circulation. Mais à certains endroits, derrière la première rangée des maisons, des parcelles invisibles s’allongent. Il peut y avoir là des jardins, mais, souvent, il s’agit d’espaces habités. La plupart du temps, leur largeur est celle du bâtiment qui donne sur la rue. La porte d’entrée ouvre alors sur un couloir qui débouche de l’autre côté sur une étroite ruelle parfaitement rectiligne, le long de laquelle se suivent de petites constructions, des sortes de cabanons, des maisonnettes ouvrières généralement sans étage. Quand la maison de façade est grande, la ruelle est bâtie des deux côtés. Quand elle est plus modeste, elle est longée d’un mur au delà duquel, sans doute, d’autres logements s’alignent. On les appelle les iles, ou les ilots. Chacun de ses ilots forme donc une série d’habitations qui ouvrent sur un couloir à ciel ouvert et abritent une petite société où tout le monde se connaît. Souvent, la maison de façade est une maison bourgeoise et c’est toute une population en quête de travail qui est venue s’agglutiner derrière elle. L’industrialisation de la ville a vu ainsi se constituer une trame serrée de lignes perpendiculaires aux axes des rues. Une autre ville, cachée, dense, fine et répétée, la ville ouvrière, s’est coagulée derrière les façades.
Depuis quelques décennies la ville est entrée dans une période de transition. Avec le départ des industries les ilots se sont dépeuplés. Les jeunes sont partis s’installer ailleurs, souvent dans des banlieues interchangeables. Les bâtiments ont vieilli. Des quartiers ont été restructurés. Pour des raisons diverses de nombreuses maisons ont été abandonnées et il arrive que les ouvertures béantes des fenêtres laissent apparaître des arrières mondes insoupçonnés. Parfois, une porte qui s’ouvre fait apercevoir des maisonnettes toujours soignées où une dame d’un certain âge bavarde avec sa voisine. Ailleurs, la baisse du prix de l’immobilier à permis à des jeunes d’acheter en bloc un ilot qu’ils reconvertissent en ateliers ou en chambres d’hôtes. Ailleurs encore, les façades cachent de vastes zones provisoirement reconverties en parking ou réhabilitées en jardins. Pendant que la ville « apparente » semble chercher à ignorer les mouvements qui l’agitent et qui vident de trop nombreuses maisons, la ville des iles nourrit le jeu des possibles de l’invention urbaine. Elle est à la fois la présence vivante du passé et la matrice du futur, une mémoire active, une réserve foncière et un archipel d’utopies potentielles.
Jean Cristofol, philosophe et enseignant à l’école supérieure d’art d’Aix-en-Provence | 2016.
O Porto e as suas ilhas
Todas as cidades têm várias faces, ou várias dimensões, que constituem camadas ou estratos que não se percebem de imediato, que não se entregam de uma só vez, mas que é necessário descobrir gradualmente, com o tempo, à custa de encontros e de explorações.
Existe a cidade aparente, a que se mostra de imediato ao visitante, que apresenta um plano superficial. Este primeiro nível de conhecimento urbano, responde muitas vezes a uma tipificação que podem agradar ou desagradar, ser sedutora ou comum, testemunhar a opulência burguesa ou a potência industrial, constituir a herança duma velha nobreza ou surgir da modernidade, mas geralmente procura dar o que a convenção social imagina ser uma “boa impressão”, cumprir determinadas normas, suavizar o olhar, tranquilizante e, se possível, turisticamente atraente.
Depois existe o que é revelado gradualmente, o que está escondido pelas ruas, o que é esquecido nas periferias, o que traz consigo uma história diferente, particular, menos valorizada e menos vendável, que testemunha uma história resiliente, mais obscura, marcada pelo conflito, o trabalho, as ambições, os excessos, as mediocridades e os heroísmos silenciosos de sucessivas gerações.
Não é assim tão simples, tão unilateral, primeiro porque não existe apenas o que se vê e o que se esconde e deve ser descoberto, mas antes uma articulação de planos, uma malha de construções e narrativas, que resulta de uma multiplicidade de acontecimentos que se sucedem no tempo e que se fundem no espaço urbano. Existe aqui uma complexidade a decifrar, um tesouro a explorar, uma diversidade inesgotável a reconhecer. Existem contradições, escolhas, interesses, lutas, invenções, destinos a identificar e compreender e coisas estranhas para decifrar, aberrações para revelar.
Uma das particularidades das cidades é que essas camadas, esses estratos, essas páginas não se leem à medida que se viram, antes permanecem no seu lugar enquanto se atravessam e se encontram idênticas a elas próprias quando se volta para trás. A cidade aparente persiste, com as suas sombras interiores, a sua clandestinidade, as suas complexidades mudas, mas também a sua conformidade inocente.
Depois existem as cidades que carregam essa complexidade na sua organização como uma tensão que as anima estruturalmente. Como se várias cidades coexistissem lado a lado, ou, mais precisamente uma dentro da outra, mas suficientemente distintas para se constituírem cada uma na sua unidade, como dois organismos amarrados e inseparáveis ou dois organismos interpenetrados e solidários. Basta passar na esquina de uma rua, atravessar um pátio, subir uma escadaria. Estávamos numa rua, numa avenida, prosseguíamos num eixo demarcado, e terminávamos num nó de becos, numa rede de vias tortuosas que respondiam a toda uma outra lógica, que revelavam uma organização diferente do espaço, fazendo surgir outros modos de habitar a cidade. Ou então envolvíamo-nos numa entrada, ou passávamos por um conjunto de edifícios que acabam em jardins, animados por uma vizinhança, onde as crianças brincam, atividades se compartilham e uma espécie de horta urbana se dissimula. Talvez, então, se voássemos sobre os telhados para filmar a cidade de cima, pudéssemos ver uma segunda cidade, fragmentada, que vive nos quarteirões dos edifícios.
Gêne é uma dessas cidades que se metamorfoseia ao virar da rua. Alguns quarteirões de Barcelona escondem micro-sociedades entre as paredes dos seus edifícios e a malha regular das suas avenidas. São cidades feitas de várias cidades que se contêm umas nas outras, ou que mudam de carácter consoante as olhamos, consoante os lugares em que habitamos e o meio social a que se pertence. Mais do que outras, essas cidades convidam-nos a caminhar à deriva, na errância e na inquietude.
A cidade do Porto é atravessada por eixos que constituem as principais vias de circulação. Mas, em certos locais, por trás da primeira fiada de casas, alongam-se parcelas invisíveis. Nelas encontramos jardins, mas muitas vezes tratam-se de espaços habitados. Na maioria dos casos, a sua largura é a da construção com vista para a rua. A porta de entrada abre-se para um corredor que nos leva para um estreito beco em linha recta, ao longo do qual pequenas construções se alinham, espécies de «cabanons», pequenas casas de operários com um único piso. Quando a fachada é grande, o beco é construído de ambos os lados. Quando menor, é delimitada por uma parede na qual outras habitações se alinham. São chamadas de ilhas. Cada uma destas ilhas é formada por uma série de casas que se abrem para um corredor a céu aberto, numa pequena comunidade onde todos se conhecem.
A industrialização da cidade viu assim formar-se uma rede de linhas perpendiculares ao eixo das ruas. E outra cidade, escondida, densa, fina e repetida, a cidade operária que se foi coagulando por trás das fachadas.
Nas últimas décadas, a cidade entrou num período de transição. Com a saída das indústrias as ilhas foram-se despovoando. Os jovens foram viver para outros lugares, muitas vezes para a periferia. As construções envelheceram. Alguns bairros foram reestruturados. Por várias razões muitas casas foram abandonadas e, por vezes, as janelas escancaradas revelam, mundos insuspeitos.
Às vezes, uma porta abre-se e deixa vislumbrar pequenas casas sempre limpas onde uma senhora idosa conversa com a sua vizinha. Noutros lugares, o baixo valor imobiliário permitiu aos jovens comprarem uma ilha inteira para reconverter em oficinas ou em alojamento local. Um pouco mais à frente, as fachadas escondem vastas áreas convertidas temporariamente em parques de estacionamento ou jardins reabilitados. Enquanto a cidade « aparente » tenta ignorar os movimentos que a agitam e esvaziam, a cidade das ilhas alimenta o jogo dos possíveis e da invenção urbana. Constitui, num mesmo tempo, a presença viva do passado e a matriz do futuro, uma memória ativa, uma reserva de terra e um arquipélago de potenciais utopias.
Jean Cristofol, filosófo e professor na escola superior de arte de Aix en Provence | 2016.